Le Big Data au service de la recherche de constructibilité
L’immobilier, un secteur qui va effectuer sa transition digitale
Benjamin PAUTROT, Directeur du pôle Offres d’HBS Research
Article publié dans la revue Actes Pratiques et Ingénierie Immobilière, décembre 2018.
De nouveaux entrants sont en train de bouleverser la très traditionnelle industrie immobilière sur tous les aspects (transaction, construction, BIM, réalité virtuelle…). Cette révolution numérique va faire gagner en productivité et en compétitivité les acteurs les plus agiles. Ceux qui ne prendront pas le virage technologique auront une infinie difficulté à faire face à ceux qui sauront combiner l’expertise humaine, l’écoute, l’intelligence avec l’intelligence artificielle de la machine, sa rapidité d’exécution, sa capacité à voir ce que l’oeil ne voit pas. S’il y a bien un sujet qui peut illustrer cela, c’est la recherche de constructibilité résiduelle. Cette constructibilité résiduelle est extrêmement importante pour les promoteurs et urbanistes car, sous certaines conditions, ces derniers vont pouvoir surélever, construire plus et revaloriser grandement l’actif immobilier. Dans les zones où le mètre carré de foncier libre est soit inexistant soit très coûteux, cette recherche fine s’impose donc. Comment le Big Data va-t-il pouvoir aider le promoteur dans sa recherche de constructibilité résiduelle ?
1. Dents creuses et potentiels de constructibilité
Une définition pour commencer. Quand on parle de constructibilité résiduelle, on entendra souvent parler de « dents creuses », ce qui est défini soit comme un espace non construit entouré de parcelles bâties, soit comme un espace bâti qui développe une hauteur inférieure aux bâtiments limitrophes. Aujourd’hui, la méthode classique fait largement appel à l’expertise humaine : les développeurs des promoteurs se mettent en relation avec des collectivités, visitent des sites, arpentent des rues. Certes des outils existent et les aident, une fois le bien identifié, à valider un certain nombre d’aspects. Dans cette recherche d’efficacité aidée par l’irruption du digital, il semble pertinent d’allier la compétence humaine avec la rapidité et l’exhaustivité d’analyse de la machine. La recherche de constructibilité s’y prête entièrement.
2. Humain et machine, trouver le bon équilibre
Prenons les deux extrêmes. L’approche « tout humain », telle qu’expliquée plus haut, est celle favorisée aujourd’hui. Les professionnels en recherche analysent les PLU, rencontrent les gens, les maires, les services d’urbanisme organisent leurs tournées sur des critères simples, utilisent le « bouche-à-oreille ». Cette méthode éprouvée fonctionne mais elle est longue, laborieuse, coûteuse en tâches parfois à faible valeur ajoutée et peut être démotivante si la stratégie de recherche n’est pas efficace. L’autre extrême serait de tout confier à une machine. De tels services existent déjà et permettent de scanner la base de PLU, les 87 millions de parcelles puis de contacter les propriétaires. Sans nul doute, cela fonctionne pour une grande partie des cas simples. Une autre approche 1 est médiane de ces deux extrêmes.
A – L’utilisation des données immobilières
HBS Research, leader de l’utilisation des données immobilières en France, collecte des informations dans des sources diverses, la plupart étant open ce qui signifie que quiconque peut les parcourir. Ces sources ont des formats très hétérogènes. L’expertise de HBS est donc de collecter ces données hétérogènes dans une base homogène. Ces données informent sur l’immeuble, ses propriétaires et ses utilisateurs. En croisant ces données qui a priori ne se parlent pas, il est possible de déduire et prédire un grand nombre d’événements.
Exemple (1)
Cette analyse faite à Paris, pour illustrer la démarche, porte sur environ 70 000 parcelles. On s’aperçoit que 33 000 de ces parcelles font plus de 300 m2 (ce qui constitue déjà un filtre pertinent si on souhaite adresser des projets pour lesquels l’effort sera le plus rentable). Ensuite, il est appliqué encore plus de filtres pour réduire la maille du filet. Par exemple, un focus sur l’immobilier professionnel permet de révéler les 3 700 de ces 33 000 parcelles qui n’ont pas connu de travaux depuis 2005, et parmi lesquelles 1 900 présentent un gabarit intéressant. Sur ces 1 900 parcelles au gabarit intéressant, 1 150 sont détenues en pleine propriété, ce qui permettra une approche commerciale simplifiée avec un seul décideur à convaincre. Pour finir, 264 sont mono utilisateur et 96 sont vides. On pourra dire que ce sont nos cibles à la probabilité de travaux la plus haute. On peut encore ajouter des couches de filtres pour affiner les 264 cibles selon leur zone, type d’immeubles etc. ou encore demander à « la machine » de nous alerter dès qu’une nouvelle information pertinente intervient sur la parcelle, notamment pour anticiper la vacance de l’actif et nourrir la prospection dans le temps.
C’est la première partie de l’approche et on saisit aisément l’aide de ce qu’on appelle big data, c’est-à-dire des ensembles de données devenus si volumineux qu’ils dépassent l’intuition et les capacités humaines d’analyse et même celles des outils informatiques classiques de gestion de base de données, tel que Excel. La difficulté résidant ici à la fois dans le fait d’aller chercher des données « de base » fiables et à jour, puis de disposer des outils informatiques permettant de les traiter. Pour nous, l’approche « machine » s’arrête ici. Et c’est bien un relais humain qualifié qui doit prendre la suite.
B – L’analyse juridique
Les experts immobiliers du cabinet Herbert Smith Freehills commencent donc l’analyse juridique fine pour chaque immeuble. Impossible de faire du volume ici. Les situations étant parfois complexes, seul l’oeil expert peut affirmer si oui ou non ce qui a été pressenti par la machine est valable. Plusieurs documents sont donc décortiqués par l’avocat. Tout d’abord, la fiche de renseignement d’urbanisme qui est un document d’information qui indique la réglementation s’appliquant sur un immeuble bâti ou non bâti (terrain, appartement…). La fiche de renseignement d’urbanisme indique la situation du bien au regard :
- du droit de préemption urbain
- des règles d’urbanisme
- des emplacements réservés (alignements)
- des éventuels arrêtés de péril et d’insalubrité
- des servitudes d’utilité publique
- d’éventuelles opérations concernant le terrain (ZAC, périmètre d’étude…)
- d’obligations relatives à d’autres réglementations
- de l’adressage issu des fichiers cadastraux.
Ensuite, il analyse des données présentes sur le site de l’APUR. L’APUR est une base de données disponible à Paris et la petite couronne, qui décrit sous la forme de fiches, les différentes couches disponibles dans le référentiel SIG [système d’information géographique] de l’Apur et en précise l’étendue géographique 2. Le classement en catégories comprend 4 parties :
- les données de référence (limites, IRIS, îlot, équipement, parcelle, adresse, bâti, réseau existant, orthophotographie, topographie) ;
- les données environnementales ;
- la base de données projet – transport ;
- la base de données patrimoine.
Différents calculs de gabarit sont finalement effectués. Notamment celui du gabarit enveloppe qui définit le potentiel constructible sur un terrain en fonction d’un volume défini par des lignes droites ou courbes qui forment l’enveloppe dans laquelle doivent s’inscrire les futures constructions, non compris les éléments d’équipements et ouvrages d’aménagement en saillie admis par le règlement d’urbanisme. Il comprend également une verticale et un couronnement. Plus simplement, l’expert :
- évalue la surface de la parcelle au sol grâce aux données cadastrales ;
- prend la hauteur telle qu’elle résulte entre autres des données de l’APUR ;
- calcule un gabarit total et déduit en fonction des étages qui restent à construire la surface constructible résiduelle (approximativement).
Une fois tous ces filtres d’analyse effectués par l’expert, le promoteur dispose enfin d’une analyse complète. Elle peut paraître lourde mais permet d’affirmer réellement le potentiel de constructibilité et évite les déconvenues ultérieures, coûteuses et génératrices de pertes de temps.
Dans un contexte où les promoteurs témoignent d’une difficulté grandissante pour trouver du foncier disponible, la révolution numérique apporte des solutions concrètes permettant de balayer en un temps record un territoire pour quantifier et segmenter son potentiel immobilier. Couplée à une analyse juridique fine des parcelles ainsi identifiées pour déterminer le gabarit réalisable, le promoteur peut rapidement allouer ses ressources sur les fonciers à plus fort potentiel de création de valeur. La montée en puissance du learning machine, et de manière plus générale de l’intelligence artificielle, va permettre d’affiner encore l’usage de la data dans la recherche de constructibilité, notamment pour permettre aux acteurs d’intervenir au bon moment et donc de prioriser encore mieux leurs actions.
- Cette approche est par exemple développée avec le cabinet d’avocat Herbert Smith Freehills.
- La plateforme est accessible par le lien : opendata.apur.org.